La tyrannie de la beauté


Jean-Francois Amadieu, sociologue et auteur

La société du paraitre, 2017 et Le poids des apparences,  2002






Le fond de la salle, est-ce ce qui nous attend encore aujourd’hui dans un restaurant chic si nous ne sommes pas jugé assez beau ?

Un décolleté plongeant, des hauts talons et une taille 36 : est-ce toujours un atout pour réussir un entretien d’embauche ?

Le chômage : est-ce vraiment ce qui nous guette si nous perdons notre emploi après 50 ans ?
Plus d’argent : est-ce, à compétences égales, nécessairement ce que gagnera un homme sportif par rapport à un quadragénaire en surpoids ?

Après l’immense succès de son livre Le Poids des apparences, Jean-François Amadieu explore un nouveau volet de cet impérialisme du paraître dans nos sociétés, en s’appuyant sur des enquêtes inédites concernant notamment les réseaux sociaux, le monde du travail, la politique ou la télévision.
Il était inévitable que le culte de la beauté, de la minceur ou de la jeunesse finisse par provoquer des refus et des réactions dans l’opinion publique. Allons-nous enfin être libérés de la tyrannie des apparences ?

Jean-François Amadieu est l’auteur du très grand succès Le Poids des apparences. Professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Il est également conseiller scientifique au ministère du Travail et membre de l’agence Entreprises et Handicap.

La tyrannie de la beauté

Interview à Radio Canada, le 13 aout 2017 par Marie-France Bazzo du sociologue Jean-Francois Amadieu.

Jamais l’apparence physique n’a été aussi importante qu’aujourd’hui. L'auteur affirme que notre penchant pour la beauté est devenu une obsession.





Comment notre rapport à la beauté et aux apparences a évolué depuis 2002? Est-il devenu plus lourd qu’en 2002?

On a tendance à oublier que tout l’univers dans lequel on baigne, c’est-à-dire des réseaux sociaux tel Facebook et Instagram, de l’usage des téléphones intelligents, tout ce déferlement d’images et de vidéo au quotidien est un phénomène récent. Ça existe depuis à peu près une dizaine d’années seulement. Cette influence a renforcé considérablement de poids des images, que ce soit pour faire des rencontres, nous trouver un travail, et tout simplement faciliter la vie sociale en général. C’est beaucoup plus important qu’avant.


Vous affirmez que ce n’est pas simplement une accumulation d’images mais un changement d’échelle du paraitre. Comment?

Dans le passé, on formulait un jugement sur les autres qui était très subjectif, souvent discriminant, mais de manière on pourrait dire artisanale. C’est-à-dire que l’on apprécie ou pas la tête de quelqu’un ou sa silhouette. Mais il se trouve que maintenant, on est en train d’entrer dans un monde effarant, puisqu’il se développe des logiciels qui permettent de façon automatique d’analyser les visages de tous, pas seulement pour les identifier comme on fait par exemple dans un aéroport, mais aussi et surtout, de commencer à déterminer toutes sortes de caractéristiques et leur personnalité, et éventuellement, voir leur intelligence. On voit apparaitre une sorte de raffinement dans l’analyse ou le décryptage des visages de chacun. Cela est tout à fait nouveau et aussi inquiétant. On est en train de rentrer dans ce monde. Par exemple, les employeurs peuvent déjà faire des entretiens a distance et analyser de cette manière les visages et d’en tirer plein de conclusions. C’est vraiment un changement profond par rapport à ce qu’on a connu sur les jugements selon les apparences.


Avant de revenir sur le monde du travail, encore un mot sur les réseaux sociaux. On a l’impression avec tout ce partage de photos et de selfi qui n’est pas prêt d’arrêter, doit-on y voir une sorte de redéfinition, d’homogénéisation sur ce que l’on voit comme la conception de la beauté? Est-on de plus en plus dans le conformisme?

Les normes en matière de beauté physiques sont internationales, donc effectivement, le phénomène a tendance à se renforcer. Il y a toujours des tribus, des groupes qui peuvent avoir des aspects physiques un peu différents, mais la tendance à l’uniformatisation gagne du terrain. On le voit avec le recourt fréquent à la chirurgie esthétique est de plus en plus développé, chacun cherchant à se rapprocher de normes plus homogènes.  Il n’y a pas de relâchement en ce qui concerne les silhouettes. Il n’est pas vrai que nous sommes plus tolérants qu’avant sur le surpoids ou le vieillissement par exemple. Au contraire, nos sociétés sont devenues de plus en plus dures : plus de jeunisme, de recherche d’éternelle jeunesse et de la minceur.

Ce qui est frappant depuis une quinzaine d’années, par exemple, si vous prenez les standards de la belle jeune fille, entre guillemets, c’est une silhouette qu’est de plus en plus mince et inatteignable. Ce qui est plus frappant, aujourd’hui, ce qui a changé le plus est que le physique préféré est devenu inaccessible pour la quasi-totalité de la population. C’est la tendance forte qui amène le recours à la chirurgie esthétique de plus en plus fréquemment, refaire une poitrine, modifier un visage, etc.


Vous dirigez un observatoire sur les discriminations. En quoi notre obsession pour la beauté participe-t-elle à augmenter cette discrimination?

Dans le domaine de l’emploi, par exemple, on s’aperçoit que les employeurs vont de plus en plus chercher sur internet des informations sur les candidats, donc entre autres, l’aspect physique à partir des photos. On mesure l’importance de cette dépendance par des enquêtes. On justifie ce procédé en indiquant qu’il y a beaucoup d’emplois ou on peut avoir intérêt à séduire un client ou un pair. L'apparence physique, dans beaucoup de pays, est plus importante. Dans d’autres, on n’utilise pas les photos. Mais avec internet, les photos sont accessibles par tous. L’apparence physique se met a jouer un rôle, ce qui représente une forme de discrimination. Ce qui est plus discriminant n’est pas tant le visage, mais le fait d’être en situation d’obésité, d’avoir des handicaps visibles ou d’être plus âgé. En France, le facteur No 1 de discrimination est l’âge (avoir plus de 50 – 55 ans), le 2eme facteur de discrimination est l’apparence physique.


Les lois pour lutter contre la discrimination, ou les lois pour la diversité à tout point de vue sont-elles efficaces ou sont-elles des veux pieux, ou avoir des effets pervers?

L’apparence physique dans la plupart des pays (en mettant de coté la couleur de la peau) est très rarement un motif qui est protégé ou inclus dans le droit de la discrimination. En règle générale, dans tous les pays du monde, la règle habituelle, les employeurs ont la faculté à discriminer sur le physique d’une personne sans que ce soit en contrevenante avec les lois. En Europe, l’obésité est maintenant classée comme un handicap, ce qui la place au niveau des critères de discrimination


L’obsession du paraître est-elle ne train de susciter des réactions qui pourraient faire changer les choses? Voit-on une forme de raz-de-bol?

Oui, c’est le point le plus intéressant de ces dernières années. On a atteint un tel degré qu’il y a des réactions publiques dans tous les pays et on s’aperçoit qu’il y a de plus en plus de stars qui sur les réseaux sociaux vont lutter contre le jeunisme, les jugements sur le physique, le poids, etc. Il y a des publicitaires qui prennent conscience du problème aussi. Les émissions de télévision, telle La Voix, vont donner la chance à des candidats qui vont avoir des physiques très différents. Il y a donc une prise de conscience, et on observe dans le domaine politique les opinions évoluer et on sent des réactions.

Les gens continuent encore d’être fascinés par l’homme politique jeune et beau : naturellement, ça marche toujours. Mais en revange, les réactions de l’opinion publique contre cette tyrannie de la minceur et de l’éternelle jeunesse sont de plus en plus nombreuses.



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